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Tout ce qui reste

  • Photo du rédacteur: Suzanne Aubty
    Suzanne Aubty
  • 4 avr.
  • 3 min de lecture

Itinéraire de mon nouveau roman

 

Ma sœur jumelle, Danielle Aubry, a commencé un roman intitulé Les Villes imaginaires alors qu’elle avait une vingtaine d’années. Prise par ses études universitaires en littérature et par la nécessité de gagner sa vie, elle a laissé ce texte inachevé. Je l’avais lu à l’époque, et les premières pages m’avaient éblouies, puis le temps a passé et le souvenir de cette lecture s’est peu à peu estompé.

 

Lorsque Danielle est morte à la suite d’une leucémie, le 2 mars 2008, je suis devenue la dépositaire de ses archives. J’avais en tête la vague idée de poursuivre l’écriture de son roman un jour, mais je n’ai pas eu le courage de le relire. J’avais toutefois gardé précieusement le texte dactylographié dans un tiroir, en attendant le moment où je serais prête à y replonger.

 

Une décennie s’est écoulée pendant laquelle j’ai écrit la série historique Fanette et deux autres romans. Puis, une journée de novembre 2018, alors qu’une neige fine tombait, couvrant les rues et les jardins d’un léger frimas, j’ai senti la présence diffuse de ma sœur en contemplant de ma fenêtre le ballet gracieux des flocons. Je me suis rappelé nos jeux d’enfants dans la cour arrière de notre maison, les forts que nous construisions avec l’aide de nos grands frères, nos costumes de neige bleu ciel au capuchon pointu de lutin, nos joues et nos mains glacées, nos longues excursions au bord du canal Rideau, car, à cette époque, les enfants avaient le droit de jouer dehors sans surveillance…

 

Le roman inachevé a repris vie sous mes yeux à travers le personnage de la narratrice, Bette, une fillette rebelle de onze ans, qui m’évoquait Danielle à cet âge. Et la nécessité de continuer le manuscrit de ma jumelle s’est imposée dans mon esprit, malgré les questions qui me hantaient (et peut-être à cause d’elles) : avais-je le droit de poursuivre un roman dont ma soeur n’avait écrit que soixante-dix-huit pages ? Aurait-elle été d’accord avec une telle démarche ? Me laisserais-je la liberté de modifier son texte, ou me ferais-je un devoir de le préserver tel quel, par respect pour sa mémoire ? Les doutes ont pris le dessus et j’ai laissé le projet en dormance.

 

Depuis, j’ai écrit et publié cinq autres romans. Après la parution du cinquième, Le Portrait, j’ai relu le manuscrit de ma sœur. J’ai compris que le temps avait accompli son œuvre bienfaisante de distanciation et m’avait conféré un sentiment de liberté et de quiétude nécessaire pour aborder les récifs qui ne manqueraient pas de se présenter en cours d’écriture.

 

Ce sera le début d’un étrange et tendre dialogue entre celle qui a disparu et celle qui est restée, par le truchement de la fiction. Plus j’avançais dans l’écriture, plus je m’éloignais du texte d’origine, et plus je me rapprochais de la fillette que Danielle avait été ; l’ourlet de sa jupe d’écolière perpétuellement défait, sa révolte précoce contre les poncifs des adultes et contre toute forme d’autorité, ses réflexes de protection à mon égard, l’éclat ironique dans ses yeux sur nos photos de classe ou de première communion… Cette « falsification créatrice », pour reprendre la belle expression de Boris Cyrulnik, m’a aidée à bâtir une passerelle intangible entre ma jumelle et moi, défiant le temps et la mort ; une toile ténue mais vivante qui nous retisse l’une à l’autre grâce aux mots.




Mon roman Tout ce qui reste, disponible dans toutes les librairies
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